Des livres au Musée Ariana

Vue de la bibliothèque depuis l'intérieur
26 novembre 2024
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La création d’une bibliothèque spécialisée

Nous évoquions dans un précédent article la bibliothèque historique du Musée Ariana. Le mobilier ayant été démonté, celle-ci n’est plus visible dans l’institution à l’exception d’un meuble désormais exposé. Malgré ce revers, les livres n’avaient pas dit leur dernier mot. Ils retrouvèrent une place de choix au sein du musée dans les années 1990 à l’occasion de l’aménagement d’une bibliothèque spécialisée.

L’origine des bibliothèques de musées

Avant d’en venir à la bibliothèque du Musée Ariana, évoquons en quelques lignes l’histoire des bibliothèques de musées. Une thèse erronée fait remonter l’origine commune des bibliothèques et des musées à l’Antiquité grecque. Le premier jalon évoqué est alors la bibliothèque d’Alexandrie qui faisait partie du Mouseîon commandé par Ptolémée Ier. Or ce « temple des Muses » faisait office d’académie, de centre de recherche et de bibliothèque, mais en aucun cas de musée au sens moderne du terme.

À la Renaissance, avec l’apparition d’institutions annonçant le musée moderne, émergent des modèles à partir desquels de véritables bibliothèques de musées prirent forme. La villa de Paolo Giovo, à Côme, sorte de proto-musée achevé en 1543 dont une pièce était dédiée à une bibliothèque, en est un précoce. Un autre modèle également ancien consiste à déposer des collections d’art dans des bibliothèques. Ce sort fut, par exemple, celui des statues des donations Grimani installées dans le vestibule de la Biblioteca Marciana à la fin du 16e siècle. Enfin, un troisième modèle plus répandu se fait jour dès le milieu du 16e siècle, celui du cabinet de curiosité. Le frontispice de l’ouvrage Museographia de Kaspar Friedrich Jenequel (fig. 1), publié en 1727, en montre un exemple éloquent. On y voit, dans une même pièce, une collection de livres faisant face à une collection d’objets.

C’est à partir de ce modèle en particulier que furent créés des musées modernes qui, dès le 19e siècle, commencèrent à intégrer régulièrement une bibliothèque spécialisée.

Frontispice de l'ouvrage Museographia

Les bibliothèques de musées à Genève

L’apparition des musées modernes à Genève repose sur des modèles semblables à ceux observés en Europe. La Bibliothèque de Genève fit, par exemple, office de musée dès le début du 18e siècle en accueillant une collection d’objets variés. Cette collection fut ensuite en grande partie transférée dans les différents musées créés au XIXe siècle.

Toutefois, pour trouver la mention d’une première bibliothèque de musée à Genève, il faut suivre le modèle des cabinets de curiosités. D’abord détenus par des privés, ces derniers furent souvent rendus publics dans le courant du XIXe siècle à l’occasion de donations ou de ventes. Le Musée académique, premier musée moderne fondé à Genève, accueillit de telles collections. Ouvert en 1820 dans l’ancienne maison du résident de France pour offrir un appui à l’enseignement public de l’histoire naturelle, il était destiné à abriter des collections d’objets et une bibliothèque. Il ne s’agissait cependant pas encore de dédier un espace aux livres, mais simplement d’en rassembler dans un meuble.

En 1872, les collections de ce musée furent déplacées dans le complexe universitaire construit aux Bastions pour créer un Musée archéologique et un Musée d’histoire naturelle. Le premier occupa le sous-sol des locaux de la Bibliothèque publique, dans l’Aile Salève, et on ignore si cet espace comprit une salle accueillant des livres. En revanche, le second, installé dans l’Aile Jura, fut doté d’une bibliothèque.

Le Musée Fol, installé dès 1873 dans les locaux libérés par le Musée académique, disposait également d’une collection d’ouvrages spécialisés. Néanmoins, celle-ci était localisée dans le cabinet du conservateur, ce qui nous pousse à ne pas lui attribuer stricto sensu le qualificatif de « bibliothèque de musée ».

Quelle fut donc la première véritable bibliothèque de musée à Genève ? Il existe plusieurs candidates possibles en fonction du critère retenu. Il pourrait s’agir de l’ancêtre de la bibliothèque des Conservatoire et Jardin botaniques ou de celle du Muséum d’histoire naturelle. La bibliothèque du Musée des arts décoratifs (1885-1944) est également une prétendante à considérer. La bibliothèque des Conservatoire et Jardin botaniques présente une situation particulière qu’il est intéressant d’évoquer plus en détail. En effet, l’institution a abrité très tôt une collection de livres qui est ensuite devenue une bibliothèque de musée à proprement parler. Dès 1826, des frais en lien avec les « tablettes de la bibliothèque » sont évoqués dans un procès-verbal, soit seulement deux ans après la fondation de l’institution. La collection créée fut toutefois assez longtemps modeste et ne comptait encore que 314 titres en 1832. C’est le déménagement des ouvrages dans le nouveau bâtiment dit « La Console », achevé en 1904, qui donna lieu à la création d’une véritable bibliothèque de musée.

Bibliothèque dans La Console

La bibliothèque du Musée Ariana

L’origine de la collection spécialisée détenue par le Musée Ariana remonte au conservateur Edgar Pelichet qui céda une partie de ses livres lors de son départ à la retraite en 1976. Ce fut toutefois un transfert plus tardif d’ouvrages sur la céramique et le verre en provenance de la Bibliothèque d’art et d’archéologie (BAA) qui forma le véritable socle de la collection. Celle-ci fut organisée par Mme Anne-Marie Kuffer, alors bibliothécaire à la BAA.

Au départ, celle-ci fut temporairement située au rez-de-chaussée du musée et il semble que son accès était limité. En effet, un article du Journal de Genève, daté du 27 octobre 1980, exigeait encore « une bibliothèque accessible au public » dans le cadre de la restauration du musée. Cet appel ne demeura pas lettre morte. Terminée en 1993, la restauration du Musée inclut l’installation d’une bibliothèque dans un local dédié. Il s’agit de la bibliothèque telle que nous pouvons la voir encore aujourd’hui.

Ainsi, depuis trente ans, la bibliothèque demeure dans le même local caractérisé par la présence d’un système de galeries accessible par un escalier central et par une grande verrière (fig. 3). Elle est désormais ouverte au public pour consulter ou emprunter des ouvrages, ou simplement pour y travailler au calme.

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Légende des illustrations :
1. Frontispice de l’ouvrage Museographia de Kaspar Friedrich Jencquel, 1727
2. Bibliothèque dans « La Console », 1904, tiré de Conservatoire et Jardin botaniques de la Ville de Genève, brochure, 1905, p. 207
3. Bibliothèque du Musée Ariana, 2023

vue d'entrée sur la bibliothèque