Luigi Guglielmi, sculpteur à l'Ariana
Lorsque l'on se penche sur l'histoire de la construction du Musée Ariana par Gustave Revilliod, on ne peut manquer de s'étonner que le collectionneur genevois confie la décoration extérieure presque exclusivement au sculpteur italien Luigi Guglielmi encore totalement inconnu à Genève. Pourquoi Revilliod ne s'est-il pas tourné vers un artiste suisse déjà établi ?
J'ai essayé de répondre à cette question et à d'autres dans le cadre d'un projet participatif proposé par la direction du Musée Ariana, qui consistait à la transcription de lettres adressées à Gustave Revilliod. La transcription d'une première lettre en italien de Guglielmi à Revilliod a éveillé ma curiosité, au point que j'ai entrepris une recherche approfondie de toute la correspondance entre le sculpteur et le collectionneur, conservée dans les archives d'État de Genève. Cela a permis d'initier une étude sur les œuvres de Guglielmi qui n'a jamais été réalisée jusqu'à présent même pas en Italie.
Luigi Guglielmi naît à Rome en 1834. Son père Paolo Guglielmi est un dessinateur et lithographe [1]. Luigi étudie dans l'une des plus anciennes et prestigieuses académies d'Italie, celle de Saint-Luc, à Rome, avec le sculpteur néo-classique Filippo Gnaccarini. Lorsque Revilliod achète le groupe Daphnis et Chloé en 1864, Luigi Guglielmi lui écrit sa première lettre et s'adresse à lui en affirmant qu'il est son nouveau mécène.
Luigi Guglielmi fait la connaissance de Gustave Revilliod par l'intermédiaire de son frère, Guillaume Guglielmi [2], également dessinateur, qui se trouve à Genève avec son oncle Louis Rubio [3] en 1849. Guillaume Guglielmi, Louis Rubio et Gustave Revilliod sont membres de la Société des Arts de Genève et partagent les mêmes intérêts pour le développement et le soutien des arts.
Les raisons pour lesquelles Revilliod a choisi Guglielmi semblent être doubles : d'une part, il souhaite agir en véritable mécène en soutenant et en encourageant des jeunes artistes. On sait combien Revilliod s'engage pour d'autres artistes émergents dans d'autres domaines artistiques et combien il a fait pour la reconnaissance de la peinture de son frère Horace Revilliod [4].
L'autre raison du choix de Guglielmi est le goût néo-classique encore en vogue à Genève au milieu du 19e siècle. Les œuvres d'Antonio Canova et d'autres sculpteurs italiens comme Luigi Bartolini, connaissent un grand succès auprès de l'aristocratie genevoise dès la fin du18e siècle. On pense par exemple à la Vénus et Adonis, aujourd'hui au Musée d'art et d'histoire de Genève (MAH Genève), achetée par Guillaume Favre pour sa bibliothèque de La Grange, à la Vénus Italica appartenant à la Société des Arts [5]. Parallèlement, les bâtiments publics, du Conservatoire de musique (1858) au Grand Théâtre de Genève (1872-1879), en passant par le Musée Ariana (1877), sont décorés de sculptures inspirées de l'Antiquité.
La longue collaboration entre le mécène et le sculpteur, commencée avec l'achat des groupes en marbre: Daphnis et Chloé, La Chiromancienne, Le sommeil et la mort, dont je parlerai dans de prochains articles, s'est consolidée au fil des ans jusqu'à la commission, quelques années plus tard, de la décoration sculpturale du musée, sans équivalent en Suisse. Décoration interrompue en raison de la mort inattendue de Revilliod au Caire en 1890.
Mes recherches révèlent que Guglielmi est l'héritier prédestiné, aux yeux de Revilliod, du goût néo-classique transmis par Canova et Thorwaldsen, qui avait influencé la statuaire publique et privée à Genève dans la première moitié du 19e siècle.
[1] Paolo Guglielmi (1804-1862), grâce à l'intérêt d'Antonio Canova, il commence à dessiner ses sculptures; par la suite il est appelé en Espagne pour réaliser les dessins de la collection du Palais royal de Madrid. Il travaille pour la chalcographie romaine qui lui commande les dessins des fresques de la chapelle Sixtine et les volumes sur les quatre basiliques principales de Rome.
[2] Guillaume (Guglielmo) Guglielmi (Rome 1832- ?), neveu aîné de Rubio, parti avec son oncle à l'âge de quatorze ans comme son élève, complète ses études de dessinateur à Genève dans la classe des beaux-arts de la Société des Arts. Lorsqu'il retourne à Rome en 1857 pour terminer sa formation à l'Académie de Saint Luc, Guillaume écrit plusieurs lettres à Revilliod et lui raconte ses visites à son frère Charles Revilliod, qui vit alors à Rome.
[3] Louis (Luigi) Rubio (1801-1882), de père espagnol, étudie à l'Académie de Saint-Luc, sa sœur Elisabetta Rubio épouse Paolo Guglielmi. Après avoir poursuivi sa carrière pendant de nombreuses années à Paris comme portraitiste et peintre d'histoire, s'installe à Genève pendant plusieurs années avec son épouse, la pianiste et élève de Chopin, Vera Kologrivov (1816-1880). A Genève Rubio expose à la Société des Arts en 1851 et participe à la fondation du Cercle des Artistes en réalisant l'iconostase de l'église russe de Genève. Pour Revilliod, il peint La cueillette des oranges à Sorrento, aujourd'hui au MAH.
[4] Roth-Lochner, Barbara, "Gustave Revilliod, sa famille, sa fortune", in: Gustave Revilliod (1817-1890) Un homme ouvert au monde, Milan 2018.p. 34.
[5] Lapaire Claude, "La sculpture à Genève au XIX siècle", in: Geneva, XXVII, 1979.
Légendes des illustrations
François Vuagnat, Louis Rubio, avant 1859, photographie, épreuve sur papier albuminé, collé en plein sur vélin de librairie épais,
inv. rec est 0011 014, Ville de Genève.
Lettre de Luigi Guglielmi à Gustave Revilliod, Rome, 8 décembre (sans année), AEG, AP 18.8.1858/133.
Louis Rubio, La cuillette des oranges à Sorrento, 1872, huile sur toile, 89x115 cm, MAH, Legs Gustave Revilliod, inv.1947-0051.
Guillaume Guglielmi-Rubio, Gustave Revilliod, 1856, crayon graphite sur papier, 19x15 cm, MAH, CdAG, inv.CR 51-bis.
Références bibliographiques
À Genève : Archives d'État
AEG, AP.18.8.1858/133 à 18.8.1889/075 lettres de Luigi Guglielmi à Gustave Revilliod.
Procès-verbal de la Société des Arts de Genève : ASDA.1477.
À Rome :
Archives de I'Académie de Saint-Luc.