Prenez la pose, mesdames !
L’artiste genevoise Nancy Mérienne (1792-1860)1 immortalise ici la femme de chambre d’Ariane de La Rive-Revilliod2, Louise Dentand, dite « Françoise »3.
Ce petit pastel ovale, à la fois touchant et révélateur de la place qu’elle avait dans la famille Revilliod, la présente assise, sur un fond de paysage, une architecture non identifiée en arrière-plan. Elle se détache du ciel bleu clair ; tournée légèrement vers la droite, elle est vêtue d’une veste mauve et d’une coiffe blanche aux fines dentelles. On devine son tablier foncé qui cache ses mains. Un ruban d’un jaune brillant pend sur sa veste, c’est le modeste bijou correspondant au statut d’employée de maison. La femme aux cheveux châtains baisse un peu le regard et on observe un petit pincement de sa bouche.
Ce portrait a probablement été exécuté à la même période qu’un portrait d’Ariane de la Rive-Revilliod, vers 1831. Comment expliquer qu’une modeste domestique soit portraiturée par une artiste qui travaillait surtout pour la haute société genevoise ?
L’ancienne bonne d’enfant4 de Gustave Revilliod et par la suite femme de chambre à Varembé n’est pas un modèle comme les autres. Louise Dentand assiste depuis longtemps à la vie quotidienne à Varembé, elle est « comme de la famille ». C’est ainsi qu’elle est témoin des joies et des chagrins de ses maîtres. Si elle voit et entend tout, elle est consciente de devoir garder le silence et ne jamais rien dire. Dans l’ensemble, son portrait est croqué plutôt hâtivement, mais il capte l’essentiel de la personnalité de Louise Dentand. L’opulence du cadre ovale doré, couronné par un médaillon et des fleurs en relief, indique que le portrait avait une place de choix à Varembé.
Ariane de la Rive-Revilliod a une quarantaine d’années quand elle pose pour Nancy Mérienne. Elle est assise dans l’intimité d’un élégant salon quand elle interrompt ses travaux de broderie et lève le regard. Riches dentelles blanches, large veste en velours bleu et fourrure et quelques bijoux sont des signes de distinction évidente. L’exécution soignée du portrait, aux couleurs chatoyantes et à la belle luminosité, contraste avec l’exécution spontanée de celui de sa femme de chambre.
Si aucun document ne permet pour l’instant de connaître les circonstances dans lesquelles le portrait de Louise Dentand a vu le jour, on peut se demander pourquoi Nancy Mérienne l’a réalisé5. Louise a-t-elle assisté aux séances de pose d’Ariane en s’occupant des travaux à l’aiguille et c’est alors que l’artiste l’a remarqué et a trouvé en elle un modèle intéressant ? S’agit-il d’un cadeau de ses maîtres à l’occasion d’un anniversaire, peut-être pour les vingt-cinq ans de son engagement au sein de la famille ? On peut d’ailleurs imaginer que, pour Louise Dentand, ce moment fut à la fois intimidant et source de fierté.
Si ces hypothèses ne peuvent pas être vérifiées, la réalisation de ce portrait et sa mention dans le catalogue de l’Ariana affirment l’estime que la famille Revilliod avait pour cette employée de maison dévouée.
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Notes :
1. Anne-Antoinette dite Nancy Mérienne. À propos de Nancy Mérienne voir : Louzier-Gentaz, Valérie, "Nancy Mérienne (1793-1860), élève de Firmin Massot, portraitiste de George Sand et Franz Liszt", in : Liber veritatis : mélanges en honneur du prof. Marcel G. Roethlisberger, Genève 2007, p. 297-307.
2. Ariane de la Rive-Revilliod est la mère du fondateur du Musée Ariana, Gustave Revilliod (1817-1890).
3. Godefroy Sidler, conservateur du Musée Ariana après le décès de Gustave Revilliod mentionne le pastel de Louise Dentand dans le premier catalogue officiel du Musée Ariana qui date de 1901 : Françoise Dentand, par Mlle Mérienne, in Catalogue officiel du Musée Ariana, 1901, Salle Revilliod, p. 145, n° 69, .
4. Cette terminologie n’a plus cours aujourd’hui ; nous la conservons ici car elle désigne précisément les fonctions que Louise Dentand avait dans la famille.
5. La datation est incertaine (entre 1830 et 1860). Louise Dentand paraît plus jeune que sur la photographie par François Vuagnat. On peut estimer que le portrait a été exécuté à la même époque que celui d’Ariane de la Rive-Revilliod, autour de 1831.
Légendes des illustrations :
1. Nancy Mérienne (1792-1860), Françoise Dentand, sans date, pastel et gouache sur papier beige collé sur carton, 27x21 cm, Musée d'art et d'histoire, Cabinet des arts graphiques, legs Gustave Revilliod, inv. CR 0427.
2. Nancy Mérienne (1792-1860), Ariane de la Rive-Revilliod, vers 1831, pastel sur parchemin, collé en plein sur papier blanc, 45 cm x 36,5 cm, MAH, CdAG, legs Gustave Revilliod, inv. CR 0443.