Soupière

Cette inhabituelle soupière appartient à un petit groupe représenté dans différents musées suisses et collections privées, mais qui n'a jamais été pris en considération dans le contexte d'un groupe de céramiques. Il comprend actuellement 22 pièces composées de soupières, sucriers, bougeoirs, bénitiers, cafetières et théières, ainsi que d'une baratte de beurre. Seul un chandelier et un bénitier ont déjà fait l'objet d'une publication (BLAETTLER/DUCRET/SCHNYDER 2013, p. 93, Fig. 4 et p. 201, Fig. 5). Ce groupe se caractérise par un décor en relief d¿éléments massifs, carrément rustique, naïfs et malhabiles. Une autre caractéristique consiste en une date du 18ème siècle, incisée ou peinte (1704, 1730, 1746, 1764, 1768, 1770, 1780 ; SNM, LM-22126 ; MKB, Inv. VI-6633 ; FWMC, Inv. C.1942A-1928 ; SMT, Inv. 4895 ; Collection privée, Mont-Pèlerin, canton de Vaud ; MAHN, Inv. AA-3281 ; MKB, Inv. VI-6634). Toutefois, en raison du décor, des couleurs de l'engobe, ou encore de la forme des soupières ou de leurs couvercles, ces céramiques peuvent clairement être identifiées comme des « contrefaçons » de la fin du 19ème siècle. En outre, le potier utilisait des pièces déjà cuites à l'origine à Heimberg, respectivement à Langnau et les complétait. Il a également produit des couvercles pour remplacer ceux qui manquaient sur les pièces d'origine (BLAETTLER/DUCRET/SCHNYDER p. 201, Fig. 5 ; Collection privée Oberhofen, sur le lac de Thoune, canton de Berne ; Collection privée, Flendruz, pays d'En-haut, canton de Vaud ; SFM, Inv. K178 ; FWMC, Inv. C.1942-1928; SMT, Inv. 688) Par-dessus tout, les soupières avec leurs prises de couvercles en forme de fruits ou de petits boules dans lesquels on entend un cliquetis, ainsi que les sucriers à trois pieds se devaient probablement, pour les acheteurs non-initiés, de contrefaire une production de Langnau, ce qu'elles n'étaient pas. Même les collectionneurs expérimentés, comme J.W.L. Glaisher de Cambridge en Angleterre, se laissèrent tromper car il écrit « Je pensais que c'était une pièce particulièrement bonne en raison de sa date ancienne et de son état de conservation » (en anglais, « This I thought was an especially good piece on account of its early date and state of preservation » (FWMC, Inv. C.1942-1928.). Il n¿est donc pas surprenant que la plupart des pièces soient inventoriés sous la référence « Langnau » dans les inventaires des musées. Le bénitier « falsifié » a été acheté en 1907 par l'antiquaire Ferdinand Beck de Neuchâtel et le bougeoir du même acabit a été acquis en 1908 par l'antiquaire Zimmerman de Berne. Ces deux pièces sont actuellement conservées au Musée d'Art et d'Histoire de Neuchâtel. Zimmermann a également livré en 1908, un sucrier avec trois petits pieds au Musée d'Histoire de Bâle (MKB, HM-1908-0096). Déjà en 1907, ce musée avait acquis un sucrier « fraîchement » produit (MKB HM-1907-2035) chez l'antiquaire Segal de Bâle, qui livrait en 1915 trois cafetières et théières inutilisées ainsi qu¿une soupière au Musée des Cultures de Bâle (MKB, Inv. VI-6631 à VI-6634). Dans le livre d'inventaire, on lit l¿entrée suivante « acquis à Langnau par l'antiquaire Segal, Bâle ». Probablement que cette déclaration consacrait Langnau comme étant le site de production potentielle. Cependant, le décor de perles et les motifs floraux vont clairement à l'encontre d'une telle affectation. Il est plus que probable que la production de ce groupe de céramiques doit être recherchée dans la région de Heimberg/Steffisbourg. Jacob Wiedmer-Stern, alors directeur du Musée d'Histoire de Berne en 1908 n¿avait-il pas vu de ses propres yeux « ... un potier de la campagne, décédé il y a quelques années, qui fabriquait d'exquis Langnau et obtenait toujours suffisamment de commandes ¿ » (WIEDMER 1908, p. 5). Des doutes quant à l'origine et la datation de ce groupe de céramiques n'ont jusqu'à présent jamais été exprimés. Ainsi, la présente soupière (Cat. 161) a été acquise en 1940 à une vente aux enchères à Berne en tant que pièce originale de Langnau (vente Zbinden-Hess, Berne, 1940, Lot 58). Le Musée National Suisse a acquis une soupière tout-à-fait comparable en 1943 chez un marchand de Zollikon, canton de Zurich (SNM, Inv. LM-22126) et, dans le même temps, une « soupière de Langnau » contrefaite par notre potier arrivait dans les collections de la Fondation Max et Theodora Fahrländer-Müller à Goldiwil près de Thoune, canton de Berne (SFM, Inv. K78). Encore en 1968, le Musée du Château de Thoune, canton de Berne, achetait auprès d'un marchand de Milan, en Italie, une baratte à beurre avec la fausse date de 1764 (SMT, Inv. 4895). D'autres pièces similaires sont apparues à plusieurs reprises ces dernières années sur le marché de l'art.